Je t’aime tu sais. Mais toi tu as tout, j’ai rien moi. Tu as des parents, ils ont de l’argent. Ça change tout. C’est vrai, je t’ai tapé dessus. Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que je pleure comme toi ?
J’en ai déjà buté moi.
J’ai tiré sur un enfant. Il le fallait bien, pour me protéger, moi et mes camarades. Car ces enfants, ils vous jettent des cailloux, mais quand ça leur prend, ils vous jettent des grenades. Et donc, cet enfant, je lui ai tiré dessus. En fait, ce gamin, je sais toujours pas si je lui ai tiré dessus ou à côté. J’avais pas le choix.
Un jour, on voyait des gens qu’on tuait à coup de machettes. On les voyait qui nous suppliaient de les aider. Mais on bougeait pas, parce qu’on pouvait pas. On voyait les autres qui riaient et regardaient ceux qui roulaient sur les corps des morts ou les attachaient à leurs voitures. Ils roulaient comme des dingues. Et nous, on regardait sans rien faire, les bras croisés.
Voilà ma cocotte, madame la curieuse, celle qui croit qu’elle sait tout, tu voulais savoir, maintenant tu sais. C’était ça mon boulot. On voyait du sang et on avait nos flingues et on était là à regarder ce qu’on aurait dû empêcher.
Puis on est partis en patrouille. En cours de route on nous arrête et on nous dit qu’il y a dix autres soldats qui se sont laissé faire prisonniers. Ils n’avaient pas osé tirer, les cons. Ils avaient donné leur flingue et leurs couteaux, tout ça sur la table, tout, leurs munitions, leurs radios et leurs instructions et ils avaient décliné leurs grades et leurs noms. On les a mis dans un hangar et on les a tués. D’abord on les avait torturés. Je te dirai pas ce qu’on leur a fait, tu me croirais pas.
Voilà ce qu’on nous dit. On se disait : quels salauds ! Nous, les gars, on nous fera pas ce coup-là, on se tire, si on nous attaque on riposte, ceux qui nous zigouillent on les zigouille. On retourne chez nous.
Moi je me disais : ça sert à rien. On fout le camp et on abandonne les gens qu’on devrait protéger. Et donc, lorsqu’on était tout près de notre enceinte, je me suis laissé tomber hors du véhicule. Je me suis caché là où couraient ces salauds avec leurs machettes. J’étais seul, là où il y avait aucun autre militaire. Personne savait où j’étais.
Je voyais un salaud avec une machette ou des couteaux ou une pioche ou une scie ou une hache ou une planche avec des clous et parfois même un flingue. Ils tuaient avec tout ce qu’ils trouvaient. Il tuaient parce que, ce jour-là, ils avaient envie de tuer. Il y en avait aussi avec des mitraillettes. Ils se prenaient pour des soldats mais c’étaient des animaux, tout jeunes qu’ils étaient. Et moi, mine de rien, comme si j’étais pas là, parce que je m’étais caché là, couché derrière un arbre, quand j’en voyais un comme ça, je le descendais.
J’ai tiré, j’ai tiré, pendant des heures, c’étaient comme des feuilles mortes qui tombaient. Je me relevais, je me promenais, j’en voyais un qui s’amenait, je ciblais, je tirais. Si je le faisais pas, qui l’aurait fait ? Après, j’ai filé en douce. J’en ai jamais parlé à personne.
C’était parfois comme si on était là pour se laisser tirer dessus qu’on se disait. C’était la grosse fête pour les habitants, la chasse aux soldats qu’on voulait pas. On nous haïssait. Mais ce jour-là je me disais : maintenant, on a besoin de moi, ils seront contents que je sois là.
Cette place autour de cette enceinte je me la rappelle. C’était un sol dur et chaud, des arbustes et cet arbre. Le sol était ocre, tout le reste était rouge, c’était vert, c’était bleu, c’était pas très courageux, mais au moins, moi, j’ai liquidé ces salauds qui tuaient pour tuer.
Je regrette pas mais j’arrive pas à oublier. Parfois je me dis que j’en ai pas tué assez.
Ces salauds, si je les avais tous tués depuis le début, j’aurais jamais vu ces pauvres types qui nous regardaient avec leurs grands yeux alors qu’on commençait à les égorger comme des moutons.
Ils étaient si salauds ces salauds d’assassins qu’au début on croyait que c’était eux qu’on devait protéger. Ça, tu l’auras pas vu aux infos, je parie. S’ils te montraient tout, tu serais dégoûtée, tu n’oserais plus jamais regarder.
Ils étaient malins, ces salauds. Ils allaient tirer en haut d’une colline et dévalaient la colline et venaient pleurer chez nous. Mon dieu, mon dieu on va nous attaquer, aidez-nous, qu’ils pleuraient, ils sont armés, ils nous haïssent, les autres. Tout ce cinéma, c’était pour se foutre de notre gueule et nous, gros cons, on y croyait. On patrouillait, on les rassurait, on les protégeait, et ces salauds tout à coup se mettaient à nous tirer dessus. Ils ont encerclé et tué ces dix militaires et ils ont attaqué les civils qui étaient là et ils les ont tous tués, ceux-là aussi.
On a vu, le jour suivant, une colonne de gens qui avançaient mais qu’on pouvait pas aider parce qu’on pouvait pas bouger, ordre du quartier général et du conseil de sécurité. On devait rester dans notre camp.
On savait que ces salauds les avaient encerclés et que ces imbéciles fuyaient dans les montagnes et qu’on les y poursuivait et là on entendait des tirs. On savait : c’est pas normal, ça doit être fatiguant, des tirs toute la nuit, toute la journée, tout le jour d’après, deux jours, trois jours, quatre jours de suite, ça devait faire des milliers qu’on tuait.
Des petits coups de pistolet ou des rafales de mitraillette, on n’entend jamais ça tout le temps du matin au soir, ça n’arrêtait pas, mais on écoutait, on l’entendait et on mangeait, on buvait, on parlait pas, on allait dormir, on pensait à ces pauvres types qui s’étaient enfuis dans les montagnes. On savait que ces salauds les massacraient. Et nous, on faisait rien, on bougeait pas.
Oui t’as raison, je suis un type de merde. Rassure-toi, ça m’embête pas j’entends ça tous les jours.
Je vais à la mairie et ils disent : on connaît ton nom mais t’as pas travaillé comme les autres. À l’armée on me dit : ici on a changé les règles pour les types comme toi, on te paie tant que tu te fais tuer et après tu n’as qu’à te démerder. Cette blessure que t’a vue sur mon ventre, les brûlures et les nausées c’était pas leur affaire je n’avais qu’à aller travailler chez ces démolisseurs. C’est ce que j’ai fait. J’y suis allé, on m’a embauché. Là je suis presque le seul à travailler. Les autres types ils foutent rien de toute la journée. Ils se bourrent depuis le matin, ils racontent que des bêtises.
C’est ça mon boulot. Passer mon temps avec des idiots. Détruire des maisons, des vieilles usines, des hangars. Raser, taper, casser. Un bruit infernal. Mais si j’étais pas là il y aurait des accidents tout le temps avec ces clowns mais le patron s’en fiche. Depuis que je lui ai dit que c’était une bande de connards d’ivrognes et de vauriens ses ouvriers il est allé le leur dire et donc ils continuent pire qu’avant. C’est une honte, ce travail. Ces ouvriers, ce sont des vrais torchons et si encore ça rapportait ce travail mais non, on dirait que ces dernières années j’ai rien gagné.
L’année passée j’étais allé au syndicat. Il y avait une bonne femme au guichet qui avait regardé mes papiers et m’avait dit que tout était en règle. Je lui demandais: ça pose problème que j’ai été soldat ? Non, qu’elle disait. J’étais content, tout était réglé. Mais c’était pas vrai. Je savais pas que je payais pas les cotisations. Elle aurait pu me le dire, cette foutue femme de merde. Et voilà, t’as vu la lettre, je te l’ai montrée, je dois payer deux mille euros d’arriérés avant janvier.
Où je vais les chercher, moi ?
Je sais ce que tu vas me sortir. T’aurais dû économiser et pas t’acheter ta télé plasma, tes jeux vidéo, ce canapé, ton ipod. Mais moi j’aime la musique. J’en ai besoin moi. Les infos, je peux m’en passer, ce sont des mensonges ou des conneries, mais pas la musique je te dis. Quand j’étais chez les salauds, il y avait que la musique qui me reposait. Quand je l’écoutais, seul, allongé sur mon lit, je me disais que ça valait encore la peine de vivre, tu comprends ? Sans ça, je me serais laissé buter avec plaisir, parce que souvent je supportais plus ce que je voyais.
J’avais bien calculé mon budget. C’est pas là le problème. C’est qu’on m’a pas bien renseigné. Les syndicats sont là pour ça et ils s’en foutent.
J’ai plus rien moi. Il y a ma voiture qui roule plus et il y a ma mère qui est morte. Tu étais là, tu l’as bien vu : tous les jours que je suis allé à l’hôpital je m’en suis occupé, mais ça n’a rien changé, elle est morte. Je dois soigner mon père qui déconne et qui tape sur tout. Il y a tous les problèmes avec les assurances, les pompes funèbres. Mon père, je devrais le mettre dans une maison de repos, mais si je paie pas, on le refusera. Et il y a mon frère qui veut plus me prêter de l’argent, tu l’as vu, tu te rappelles qu’il me l’avait promis. T’étais là quand il l’a dit. Tout à coup il m’a laissé tomber. Tu n’as qu’à t’arranger, débrouille-toi qu’il dit, j’en ai marre de te dépanner.
T’es folle, tu veux me foutre à la porte mais je veux pas dormir à la rue moi. Je travaille, j’ai toujours travaillé, à l’armée, ici, ailleurs, j’ai même été ambulancier, j’ai toujours aidé les gens, mes parents, j’ai toujours eu un appartement. C’est toi qui m’as dit de venir vivre chez toi. Quand on a un appartement il faut payer l’eau, l’électricité. C’est toi qui vas me le payer ? J’y arriverai pas, j’arrive plus, j’en peux plus. J’ai jamais chômé et on vient me prendre mon argent et quand j’en ai plus on vient me réclamer les cotisations, les impôts, les arriérés. On me dit t’as droit à rien toi, connard, fous le camp, retourne dans ton armée, c’est ce que tu me dis salope j’ai bien compris. T’es comme tous les autres.
J’en avais marre de notre armée, d’abord je suis encore passé chez les Suédois. Pour faire la chasse aux terroristes. On les oublie, les Suédois, mais eux aussi, ils fourrent leur nez partout.
Chez les Suédois, on t’embête pas, les gens travaillent, ils sont sérieux, on est bien payé et quand j’ai eu mes problèmes de dos et de vue et mes migraines ils ont fait un dossier tout de suite, c’était bouclé en une minute. Ils sont chics, les Suédois, quand t’as travaillé dans leur armée t’es un des leurs, un ami, ils te lâchent pas. Mais ici on me regarde comme si j’étais un sauvage, un demeuré.
Ici il faut faire la file partout. Tu dois aller le matin à cinq heures attendre devant une porte pour qu’on te laisse entrer à six heures du soir. Là, il y a cette femme avec son chignon de merde qui te ferme le guichet au nez et qui te dit qu’il faut aller dans ton département chercher une attestation que t’es bien celui que t’es et que ton nom c’est bien le tien et il lui faut encore une attestation de l’armée que t’es bien ce salaud qui fait semblant d’être soldat et cet imbécile qui a été soldat pour les Suédois, comment tu oses, et tu dois prouver que t’es bien ce fainéant qui fait semblant de vouloir travailler mais qui peut pas parce qu’il dort pas la nuit et qu’il arrive pas à se lever le matin à cause qu’il sait plus pourquoi il devrait se lever et ses douleurs de dos et ses nausées le font ramper par terre, et il te faut ton passeport et des photos et ta carte grise et jaune et bleue, et on te demande une preuve que t’habites quelque part dans un appartement, une maison, pas à la gare, sur une terrasse, dans un égout. Tu dois acheter des enveloppes et les timbrer, sont trop cons pour faire ça eux-mêmes et finalement tu peux crever qu’ils te demanderont encore de leur donner une enveloppe timbrée pour t’envoyer l’attestation que t’es bien mort, que c’est bien fait et que de toute façon t’as droit à rien.
C’est comme ça que ça fonctionne ici. C’est ça mon pays ? Pour moi, c’est devenu un pays de merde ici, toi, les syndicats, les politiciens, ça ne pense qu’à l’argent. Et ces fainéants de démolisseurs on les laisse tranquilles et le patron il gagne son fric avec ces connards d’ivrognes et alors moi je devrais payer ?
Là, au moins, en Suède, on m’embêtait pas. On va en mission, on revient, on encaisse. Ça rapportait bien. Surtout quand j’allais longtemps là où il y avait plein de salauds. Alors j’avais droit à des grosses primes. Ça faisait des milliers d’euros par mois, mais où qu’il est passé, tout cet argent ? Tes fringues elles viennent d’où, tu l’as foutu où toi mon argent ?
J’ai tiré quand il le fallait et quand j’ai pas voulu tirer je l’ai pas fait. Parce que parfois il y avait les officiers qui étaient derrière nous et qui disaient : faut tirer ou c’est nous qu’on vous fout une balle dans la nuque. C’était pour rigoler, on est pas dans une dictature mais bon, on le disait tout de même.
Ce gamin, je l’ai sûrement pas tué. Je l’ai blessé, il fallait bien, il était trop près. Consigne du quartier général : enfant, adulte, s’ils vous menacent, vous les liquidez. S’il y a trop de soldats morts ça fera le tollé, les journalistes adorent, donc évitez qu’on vous zigouille. C’était pas pour nous qu’on disait ça, mais pour qu’on doive pas retirer l’armée. Et donc, les soldats qu’on envoie, ça meurt pas. Pour pas inquiéter les citoyens, ceux de chez nous, connasse, les autres, faut pas trop s’en occuper. Cesse de hurler.
J’ai tiré à coté je te dis. Je voyais le sable qui bougeait. Ce gamin se retirait, il se cachait, puis il s’est dit : vaut mieux plus bouger, il croira que je suis mort, il me laissera tranquille. J’ai vu, j’ai compris, j’ai plus tiré. J’ai fait ce qu’un soldat doit faire, zigouiller les salauds et pas les bons car s’il y un honneur de soldat c’est celui-là.
Voilà, tu sais maintenant. Mais tu l’as déjà oublié parce que dans ta tête il n’y a que l’amour, l’amour toujours. Cesse, arrête, tu me casses les pieds, tu sais faire autre chose que crier comme un môme? J’en peux plus, je les étranglerais si je pouvais, ces salauds de cabotins d’imbéciles de merde de cinglés de politiciens et de syndicalistes qui ont tout foutu en l’air ici.
Je pars salope, tout de suite si tu veux, sois tranquille, c’est plus mon pays ici, c’est un pays pourri de journalistes et d’infos et de journaux de merde, de jeux de merde, de rues de merde, de gens de merde, d’argent de merde. Ça, je l’ai senti dès que descendais de l’avion : je ne voyais que de la merde. Et pourtant, j’en ai déjà vu de la merde, tu peux pas t’imaginer le tas que ça fait.
Ça me bouffe ce que j’ai vu, ça me ronge les yeux, c’est une boule dans mon ventre chaque matin. Je vois plus que du pourri. Rien d’étonnant, j’aurais jamais dû revenir, et si je t’ai tapé dessus c’est que je t’ai déjà dit que ça me rend dingue tout ce bruit que tu fais. J’en ai déjà vu crier tellement de gens qu’on tapait dessus, qui s’affolaient que je supporte plus, même pas des enfants qui jouent, qui bougent, qui courent. Et la joie, les rires, tu sais, ça me fait du mal de voir ça. Franchement j’aimerais encore mieux que ça n’existe plus.
Toi avec tes foutaises d’amour toujours, je supporte plus, fous-moi la paix, je veux plus la voir, cette connerie de pays, et la misère, les infos et les guerres, j’en veux plus.
Je t’aime tu sais. Mais va pas croire que t’es si importante que ça. Mais que t’es bête ! Qu’est-ce que tu crois ? Qu’on peut encore aimer après ce que j’ai vu ? C’est tout le contraire, connasse, c’est toi qui m’assassines avec tes cris.
J’ai voulu monter ma propre boîte mais tu sais que je devais emprunter et payer avant même de commencer. Pour qui ? Pas pour moi mais pour ces types dans leurs grosses bagnoles qui te disent payez j’encaisse et ton argent ils le distribuent à ceux qui foutent rien et le reste il va où, tu le sais, toi ?
C’est à eux que j’en veux, oui j’en veux à tout le monde, figure-toi, et si ça te fait rigoler rigole et si tu veux déposer plainte, vas-y, je t’empêche pas, le commissariat c’est tout près d’ici. C’est bien ce que je pensais, tu l’as déjà fait, salope, t’as téléphoné, je les entends qui arrivent. J’entends leur voiture dans la rue.
Ecoute-moi bien, madame la marquise, l’américaine sentimentale, la foutue végétarienne, la solidaire avec tout le monde, la nana de la gauche avec tes airs d’écolo à la noix de coco, c’est vrai que je t’ai tapé dessus mais tu oublies ce que t’as gueulé, j’aurais dû l’enregistrer, c’est à tomber par terre toutes les ordures que tu m’as criées.
Si les policiers s’amènent je leur dirai qu’on est dans la merde et que la terre c’est de la merde et le soleil c’est de la merde, qu’on est dedans de la tête aux pieds et que tout le pays il est dedans du nord au sud et que t’es pas normale toi, t’es complètement cinglée, cesse de crier comme ça, c’est toi le tapage nocturne qui a commencé à me taper dessus, tu me poses des questions qui me font gueuler, tu cries sans me laisser parler comme si j’ai rien d’autre à faire qu’à crier que je t’aime que je t’aime, j’t’emmerde, j’t’emmerde, oui, va, cours, salope, saute, ma sale crotte, crie et fous le camp, toi et tes séries télévisées à la con et tes femmes qui pleurnichent parce qu’elles veulent l’amour et le font pas l’amour ou pas assez ou trop tard le soir quand elles sont fatiguées ou qu’elles ont plus de quoi faire bander les hommes parce qu’elles sont pas assez riches pour se payer des vacances avec des beaux mecs ou trop moches ou trop bêtes ou trop petites ou trop grandes ou pas brunes, qu’est-ce que j’en ai à cirer de leurs talons et cornichons et complexes et leur gros pet et leur long nez et leurs peurs, leurs pleurs, les stars, les vedettes, la télé, toutes ces folles détraquées, empoisonnées, ces pleurnichardes, je les emmerde, j’t’emmerde, j’t’emmerde, c’est pour ça que je suis allé buter tu crois, pour ces vacheries de merde de comédies d’infos, j’ai jamais pleuré, tu peux aller ouvrir la porte, lève-toi, va chercher tes amis les policiers les enculés je te taperai pas dessus, même pas quand t’as le dos tourné, je bute pas les putes, moi.
Ils sont à la porte, les voilà qui sonnent qui frappent. C’est ta faute salope, t’es pas loyale toi, tu me dégoûtes. Tu m’as trahie. Si t’étais à l’armée, ça ferait déjà longtemps qu’on t’aurait lâchée. Tu me fous à la porte, j’essaie de t’expliquer, tu me laisses pas parler, tu m’énerves, tu m’interromps, je m’en fous de ce qu’ils diront, laisse-les rentrer, ces couillons.
Bouge pas, donne-moi mon flingue, vite, que je les descende, ces alcoolos de ce pays de merde, ouvre la porte. S’il y en a un seul qui est à l’armée il me comprendra. Et s’il y est pas, tant pis, on comprendra pas et on me descendra.
Putain, ils sont armés, j’ai l’oreille pour ça. Donne-moi mon flingue. Rassure-toi, j’ai un couteau. Il y a que le sang qu’on comprend, et s’il me faut un avocat c’est toi qui me le paieras.
Ils ont même leur fusil, tu leur as dit que j’étais soldat, ils se préparent à me buter mais j’ai encore un autre flingue, tu vois, je l’ai toujours sur moi.
Les voilà qui montent l’escalier. T’as laissé la porte ouverte, tu leur as même dit où qu’on était. Porte d’entrée, escalier, premier étage, deuxième étage, grenier, je les entends, ils sont cinq, ils sont lents, insouciants. Il y en a un qui traîne de la jambe. Il y en a un seul qui est vraiment costaud. T’en fais pas, je m’en occuperai de celui-là. Ils croient que ça suffira. Que j’aurai peur, que je me laisserai emmener. Où ça? Dans un hangar, salope ? Pour me faire tuer comme ces dix connards?
Tais-toi. Clic clic clic, ils montent l’escalier. Je connais leurs armes, leur matraque, leur pistolet, leur fusil. Tu cibles l’ennemi, tu évalues sa force de tir, tu l’élimines. Il y a une chose que je ferai jamais, mets-toi ça bien dans la tête, c’est aller en thérapie. J’en veux pas, c’est pire que la taule, c’est une connerie pour imbéciles qui savent pas ce que c’est de se réveiller chaque jour les yeux pleins de merde.
Ouvre, salope.
Oui, t’as raison, c’est moi qui pue, je suis né dans la merde, j’en sortirai jamais.
Le pire c’est pas qu’on bougeait pas, c’est pas qu’on les voyait qu’on les tuait, salope, c’est comme ça puait les routes, les trottoirs, ta bouche, tes cheveux, tes doigts, l’air, le ciel, tout ce pays puait la mort, ça t’oublie jamais. C’est comme si t’arrives pas à le quitter, ce pays, comme s’il était partout, peu importe où tu vas. Tu te laves, tu cours, tu fais l’amour, tu bois, tu prends des médicaments pour t’en sortir, mais quand tu te réveilles, il est toujours là.
C’est pour les autres que j’ai buté, pour les sauver sauf ce gamin mais il vit encore que je te dis, celui-là je l’ai pas tué, il s’est allongé, il était rusé. Il a pas bronché, il s’est relevé quand j’avais le dos tourné.
Il boit comme un ogre, il a les yeux gris, il doit avoir vingt ans, dix enfants, trente ans, six femmes entre-temps, c’est ce que je suppose, on n’est jamais sûr avec ces salauds, ça vous ment et ça vous trompe, ça part et ça revient, ça se marie, ça divorce, c’est mort mais c’est vivant, à la fin on sait même plus si on les a vraiment tués.
Laisse-les rentrer. Laisse-les rentrer ces putains de merde de nuls de grands zéros de fils de pute de politiciens de syndicats d’impôts d’enculés de mes pieds, que je les bute ces lapins, ces imbéciles, qu’ils nous butent, toi et moi, les grands zigouilleurs zigouillés. T’entends la musique? C’est le grand bal, la fête nationale des grands buteurs bousillés, ils croyaient massacrer c’est moi qui les ai massacrés, ils montent la dernière partie de l’escalier. Faut jamais oublier, faut s’organiser, anticiper, opérer, se révolter. Accroupis-toi, salope, bouche ton nez, les mains sur les oreilles, protège-toi, tu le vois là, mon flingue, je vais les descendre un à un ces salauds d’imbéciles costumés, ouvre, laisse-les rentrer ces salauds, pour qu’on en finisse avec cette merde.
T’en fais pas, lacrymogènes et explosifs, j’ai ce qu’il nous faut pour ces crétins qui butent les gamins, les pauvres, les civils. Tu verras, on rigolera. J’ai mes grenades salope, tu les avais cachées, je les ai retrouvées, je les ferai sauter et après je sortirai et je buterai tous ceux qu’on a égorgés.
Ils sont collés au mur, ils sont en ville, ils n’ont jamais bougé. Ils sont dans les rues, les vitrines, les égouts. T’as qu’à regarder par la fenêtre et tu les vois assis sur les toits, ceux qui égorgent et ceux qu’on égorge, étendus sur les trottoirs, accrochés aux réverbères qui chantent la ballade des grands amis qu’on ose pas séparer. C’est la pleine lune au Champ-de-Mars, aux jours de fête à Noël à Nouvel-An on s’amusera. Ce sera moi le roi qui pue, gluant, dégoulinant, triomphant, le grand dégraissant qui nettoie le soleil qui noie son corps de merde trempé, criblé, pété, bousillé, ouvre, laisse rentrer la crasse, laisse les salauds rentrer.
Ils sont là, salope, j’entends leurs pas, ils vont t’appeler, négocier, enfoncer la porte, je les connais. Je me rends pas, jamais, t’entends ? Boucle-la, arrête de chialer.
Attention qu’on te tue pas, dégage, t’en as encore le temps. Vas-y, n’aie pas peur, j’ai mon flingue et mon taser braqués sur la porte, je te buterai pas bien que tu le mérites. Je t’aime, tu me manqueras, salope.
J’enlève la goupille elle roule par terre la grenade, t’as quatre secondes pour dégager, laisse-les rentrer. Ouvre cette porte, salope, ouvre, ouvre, laisse les salauds rentrer.