eenverlangennaareenheidDans un livre précédent j'esquissais une histoire de la mystique occidentale.

Dans ce livre-ci, j'examine les modes de construction et de transformation de la mystique.

Comment construit-on des récits 'sensifiants' (càd donnant un sens à la vie)? Réponse: en se basant sur une structuration de l'espace et du temps et en considérant la méthode qui a mené à cette structuration comme une révélation.

Une fois cette structuration établie, sur base d'une révélation jugée indubitable, il reste à équilibrer une série de tensions dont les plus importantes sont celles entre sujet et objet, et entre activité et passivité. Cet équilibrage s'effectue par des 'exégètes', censés être les seuls compétents à maîtriser la méthode due à la révélation et habilités à imposer leur équilibrage à ceux qui adhèrent au système sensifiant.

Cependant, cet équilibrage, qui, par le biais des tensions, génère une quantité potentiellement infinie de solutions aux problèmes posés par ces tensions, souvent rend le système incongru; il se contredit lui-même; mais cela ne sape aucunement sa crédibilité. La remise en question d'un système est plutôt le résultat des changements qui s'opèrent au sein même des adhérents: dès qu'un nombre de membres suffisamment élevé estime avoir les qualités pour équilibrer le système et se sent le droit de fonder une nouvelle branche au-dedans, et, si nécessaire, en dehors du système, le système se referme sur soi, tandis qu'à l'extérieur d'autres systèmes naissent, structurés de la même façon, et subissant potentiellement le même sort que le système dont ils sont issus.

Dans mon livre j'explique la structuration du système 'croyance chrétienne', au-dedans duquel s'établit le système: 'mystique chrétienne'.

J'explique comment ces deux systèmes sont nés d'un jeu de trial and error durant l'époque de leur formation, et comment la mystique chrétienne a évolué, surtout suite à la tension activité-passivité (un des exemples majeurs de cette tension étant la lutte entre 'activitstes' et 'passivistes', p.ex. les 'passivistes' hésychastes, ou les quiétistes du seizième et dix-septième siècle). D'autres tensions répondent aux questions capitales: qui, comment? Càd: qui a le droit de s'exprimer sur un système, de l'expliquer, de l'imposer, de le pratiquer etc; comment explique-t-on la genèse, la crédibilité, le fonctionnement du système, quelles sont ses libertés, ses limites, ses postulats dont il ne peut s'écarter?

Ensuite, j'évoque l'éclosion de systèmes concurrentiels depuis la fin de quinzième siècle (alchimie, sciences), ainsi que l'éparpillement de la croyance chrétienne en une diversité - à nouveau, potentiellement infinie - de branches, et ce depuis la réformation. Aussi, dès à peu près le seizième/dix-septième siècle, l'occident se trouve submergé par une série de récits sensifiants concurrentiels, auxquels s'ajouteront, par la suite, la politique et l'économie. Ces récits ont en commun leur désir d'unifier l'individu avec soi-même et/ou avec le monde; ils prétendent rapprocher l'homme de ce qu'est son destin, sa raison d'être. Evidemment, chaque système, partant d'une autre structuration, et d'une autre révélation, propose d'autres approches de l'unification, de l'union, de l'unité. Et le plus frappant (dans chaque système) est qu'il ne peut survivre, ou avoir son identité qu'en se basant sur une exclusion, càd en répondant à des questions du type qui?: qui a le droit d'appartenir au système; en fait-il partie à part entière ou pas; doit-il le subir, ou peut-il le transformer; a-t-il le droit de douter à propos de la fiabilité du système, ou doit-il, avant d'être habilité à émettre la moindre critique, avoir étudié le système, en ayant suivi des cours donnés par des 'connaisseurs' du système, eux-mêmes reconnus par les plus hauts connaisseurs du système etc?

Suite à la réponse aux questions: qui, comment, quoi (globalement: les tensions d'un système), l'on peaufine le système; il est étudié jusque dans ses moindres détails; mais à la fois il devient hypertrophié, et hypercompliqué, superficiellement.

Ce qui a comme effet déroutant que des systèmes différents, mis en place pour répondre à la même question de base (pourquoi la vie? pourquoi est-ce que je mourrai?), s'opposent dans leur lutte pour donner un sens à la vie, tandis que, souvent, leurs postulats de base (temps, espace, image de l'homme) sont identiques; il n'y a que la superficie qui les différencie. Mais leur impact ne peut être sous-estimé.

Ainsi, le système actuel occidental, dans lequel prévalent la politique et l'économie, façonne la vie humaine, impose des craintes et des espoirs, des ambitions, des vocations, tranche sur des questions éthiques et morales, élabore ou songe à une société idéale, unifiée, juste et équitable et, si nécessaire, l'impose, avec ou sans violence - tout comme le faisait, dans d'autres siècles, un système qui, en ce temps-là, était théocratique et se basait sur une approche 'chrétienne' de la réalité, càd émanait d'un système chrétien.

Il est intéressant de noter cette transformation continuelle des récits sensifiants, afin de saisir qu'en dépit des apparences, l'époque actuelle, majoritairement immanente (càd structurant le temps et l'espace en accentuant l'ici-maintenant, et non pas l'ailleurs-plus-tard), est assujettie, quasiment inconsciemment, à un système sensifiant qui a, lui aussi, l'ambiton d'unifier le monde. Tout comme le fit l'Empire romain; tout comme le fit le catholicisme du début du vingtième siècle, voulant créer un monde qui soit à l'image du 'corpus mysticum', le 'corps mystique du Christ' sur terre, dans lequel s'inséreraient tous les croyants, chacun avec sa propre vocation et ses propres qualités. C'est, à peu de chose près, le même rêve que celui, actuel, selon lequel chaque homme travaille, produit, trouve sa satisfaction profonde dans la réalisation de ses ambitions, aidé, pour ce faire, par les médias qui lui montrent les hommes-managers héroiques (tels des saints), les hommes politiques accomplis (tels des leaders, les guidant vers la terre promise), les artistes à l'apogée de leur créativité et dont la seule existence témoigne de l'essor, de la diversité et de la vitalité de la société qui pourtant est méticuleusement 'régulée'.

En somme donc, même si l'occident semble avoir délaissé l'héritage chrétien, celui-ci refait surface dans une série de récits sensifiants qui, bien qu'ils paraissent fondamentalement différents, sont structurés de la même façon et ont la même ambition d'améliorer le monde, de le faire progresser vers son but final: l'unité.

Le livre se concentre sur

  1. les modes de genèse (formation) du système chrétien,
  2. en examinant surtout les questions concernant les temps et l'espace ainsi que
  3. les tensions majeures (le 'qui', le 'quoi', le 'comment'),
  4. les trois voies principales au-dedans la mystique chrétienne (voie de l'amour; voie de la vacuité; voie magique);
  5. les mécanismes de transformation de chaque système, des interactions possibles entre systèmes (systèmes ayant cette particularité qu'en dépit de leur antagonisme superficiel, au plus profond ils sont souvent des système-jumeaux qui se miroitent, et ne peuvent exister sans leur frère caché dans le système opposé),
  6. l'éclosion des systèmes sensifiants concurrentiels et
  7. les effets de la réformation (particulièrement l'action de Luther) dont l'impact se traduit dans la croyance aux charismes personnels et fondateurs d'une religion et dont l'action, jointe à l'apparition de la tradition alchimique, contribue à la genèse de la multitude de religions sensifiantes modernes à laquelle appartient, entre autres, la mouvance New Age, ainsi qu'à la genèse de la conviction que chacun peut fonder son propre récit sensifiant. (Cette dernière tendance se fait jour déjà au temps de Luther, mais surtout au seizième et dix-septième siècle: comme l'écrivait Madame Guyon, qui prônait une 'mystique pour tous'. Mystique pour tous, faite, construite par une seule personne qui se réclamait de ses propres illuminations (càd sa révélation personnelle) pour propager ses idées; on trouve là le début de l'attitude actuelle selon laquelle chaque homme est potentiellement en mesure de créer sa propre approche des tensions (qui, quoi, comment) et de répondre, si nécessaire, aux questions de structuration de l'espace et du temps, et, partant, de créer sa propre 'religion'. Ce qui donne à la mystique sa fluidité - et cause l'embarras de ceux qui voudraient une seule vérité, ou tout au plus une série limitée de systèmes sensifiants estimant avoir trouvé la vérité.)
  8. le livre explore ensuite les trois paradigmes successifs à travers lesquels l'occident a évolué en forgeant ses systèmes sensifiants; je constate que l'on désire surtout connaître la vraie structure de la réalité; cette idée du 'connnaître', se transformera, au fur et à mesure que l'occident évolue, et elle aboutira, dans une forme dérivée, à la grande importance accordée actuellement au savoir (scientifique, et donc faisant partie du système sensifiant 'sciences') et à l'information (dont font partie les médias, qui eux aussi, véhiculent le système sensifiant 'politique' et 'économique', basé sur le postulat du 'savoir'): ainsi le système actuel 'fonctionne' à merveille: il s'autolégitime et se renforce à tous les niveaux, tout comme le font d'autres systèmes, p.ex. ceux qui se réclament d'une réalité surnaturelle et qui, pour affirmer ce postulat, prouvent, par le biais de phénomènes jugés surnaturels et qu'on ne peut expliquer qu'en utilisant un postulat incluant l'existence de ce niveau surnaturel, l'existence de ce surnaturel, qui en même temps livre la révélation fondatrice de la religion qui se construira et qui aura comme but l'unité entre le naturel et le surnaturel. Mais le système actuel occidental effectue le même loop: il s'autolégitime, en proclamant par tous les moyens que sa vision de la réalité est la seule possible et vraie, en apportant continuellement des 'preuves' de sa vision (par les médias et les sciences livrant le message inévitablement tronqué de cette réalité) - et que donc il faut bien l'accepter, et si possible l'imposer partout, afin d'arriver à l'unité. Et donc: être partisan d'un marché libre mondial ou être globaliste (et contre la suprématie du marché libre) revient au même: on désire l'unité; qui plus est, ces options partent toutes d'une approche immanente de la réalité; leur structuration de base est identique; ce n'est que dans leur solution des tensions qu'elles empruntent des voies différentes; c'est une lutte entre 'sectes' (possibles branches) au sein d'une seule religion (récit sensifiant) à la recherche d'unité.

Dans un prochain livre (que j'écrirai en français) je reprendrai cette approche, et j'étudierai plus en profondeur la structuratioin des récits sensifiants non-religieux, non-chrétiens, en démontrant comment ils répondent, de par leur structuration et formation, aux mêmes règles que le système étudié dans ce livre-ci, qui est essentiellement consacré à l'étude de la mystique et de la religon occidentale comme systèmes sensifiants.

'Een verlangen naar eenheid': traduction littérale: 'Un désir d'unité'.

“Een verlangen naar eenheid. Structuur en transformatie van de westerse mystiek

  • 608 pages

"Espace, temps, tensions: c'est tout ce qu'il faut pour construire une croyance, qu'elle soit philosophique, religieuse, politique, économique ou autre."

Boris Todoroff