Dans cet article nous nous proposons de définir le cadre mental qui précède la pensée occidentale sur la mystique, et, de ce fait, génère la façon dont l’on croit pourvoir parler de, étudier ou faire l’expérience de la mystique.[1] Ce qui nous intéresse n’est donc pas de trouver une définition de la mystique, mais de répondre à la question: comment considère-t-on, en Occident, la mystique – et quel est l’impact de cette pensée sur les formes sous lesquelles la mystique occidentale s’est manifestée depuis le passé lointain jusqu’à présent?

Il nous faudra cependant commencer par quelques remarques préliminaires sur la structuration du temps et de l’espace et sur les conceptions sur lesquelles se base la religion chrétienne. Ensuite nous proposerons un schéma en quelque sorte ‘vide’, neutre de ce qu’est le processus de la mystique, au-dedans duquel nous pourrons situer les ‘tensions’ typiques de la mystique occidentale. Nous décrirons les deux ‘voies’ principales qu’a empruntées la mystique occidentale, en indiquant les points principaux de friction qui existent entre mystique et religion. Nous terminerons par un bref aperçu des paradigmes successifs qu’a connus la mystique occidentale au sein de la religion chrétienne, et indiquerons l’émergence de nouveaux paradigmes (non religieux ou semi-religieux) dont un, celui de l’ésotérisme occidental, s’impose actuellement comme la nouvelle forme de religiosité à partir de laquelle une troisième ‘voie’ de la mystique occidentale pourrait bien se développer.

1. Le temps et l’espace

Commençons par une question bien simple: pourquoi la vie, pourquoi la mort? Dès qu’on répond à cette question, l’on a recours à une série d’options parmi lesquelles il faut faire des choix. D’emblée, ces choix ont trait à l’espace et le temps. L’on a recours à une structuration du temps et de l’espace, afin de répondre à la question de base: ‘Est-ce que je continuerai à vivre après ma mort?’ Si je réponds par l’affirmative, il me faut indiquer dans quelle sorte de temps et d’espace je vivrai. Sera-ce un espace différent de l’espace actuel? Si oui, comment cet espace est-il, et où se situe-t-il? Y a-t-il différentes sortes d’espaces, et comment s’effectuent les transitions entre ces zones spatiales? De même: dans quelle sorte de temps se déroulera mon après-vie? Dans une éternité d’une autre nature que la temporalité actuelle, dans une éternité figée dans laquelle notre temps (ayant un début et une fin précis) sera absorbé ‘à la fin des temps’? Souvent, inconsciemment, l’on traite du ‘sens’ de la vie, en se basant sur des concepts du temps et de l’espace. Ces concepts sont déjà, d’emblée, créés par nos prédécesseurs pour répondre au pourquoi de la vie et de la mort. Et soit on les accepte, soit on les altère. Nos conceptions du temps et l’espace font, en d’autres termes, partie de notre ‘cadre mental préliminaire’.

2. L’homme

Il en va de même pour notre conception de l’homme. Si, en effet, il ‘survit’ à sa propre vie, la question s’impose: quelle partie de l’homme est vouée à la mort? Et quelle partie survivra? Sous quelle forme? Cette partie-là, nous est-elle innée, et devra-t-elle se transformer en sa véritable forme après notre mort? Est-elle individuelle ou pas? Dans quel(s) type(s) d’espace, de temps se retrouvera-t-elle, et peut-elle déjà, durant cette vie-ci, accéder à la dimension de l’après-vie ? Souvent, dans la tradition occidentale, l’on introduira une structure trine dans l’image de l’homme : il y a son corps (sa matérialité), son âme (individuelle, exempte de la mort), et son esprit (à la fois moyen de communication entre l’ici-bas et l’au-delà et entité impersonnelle formant partie d’une réalité immuable, éternelle, résidant dans l’au-delà).

L’on peut former des systèmes complexes (théologiques et/ou philosophiques) en combinant les présuppositions concernant les structures de l’homme, du temps et de l’espace et les réunir dans un ensemble cohérent qui donne un ‘sens’ à la vie humaine. Le ‘système’ le plus influant dans la tradition occidentale est celui de provenance judaïque, qui a cependant subi une refonte de type néoplatonicien au cours des premiers siècles du christianisme. Et c’est au-dedans de ce vaste ensemble de présuppositions concernant le temps et l’espace, la structure de l’homme et le but de sa vie que se profilera la mystique chrétienne. Cette mystique, donc, est elle-même déjà le fruit de certaines conceptions du temps, de l’espace et de l’homme réunies dans un ensemble plus ou moins équilibré.

Cette mystique a comme but principal l’expérience de l’unité. Mais il est utile de rappeler que la conception de l’unité est née du désir de répondre à la question de base : pourquoi la vie ? En fait, le désir d’unité trahit et dévoile en partie l’ensemble d’idées qui l’ont généré : je désire voir ou expérimenter, contempler ou sentir, déceler ou étudier les points d’attache, de raccordement entre les différentes structures temporelles, spatiales et humaines généralement acceptées; je désire transcender l’amas de ces structures données pour trouver les points où elles se rejoignent et me placent au centre même de ces structures: là où elles convergent, là où elles donnent un sens à ma vie, et me relient à ce qui me procure l’immortalité, sous quelque forme que ce soit.

3. La religion

Il n’y a pas que la structuration du temps, de l’espace, de l’homme. La religion aussi fait partie de notre cadre mental préliminaire. Pour ce qui est de la religion chrétienne (au sein de laquelle la mystique occidentale émergera) il nous faut signaler qu’elle se base sur principalement trois concepts : la révélation ; le surnaturel ; la grâce. Chacun de ces trois concepts soutient et légitime les deux autres et vice versa. Ainsi, un écrit ou une personne nous révèle l’existence du surnaturel. Mais c’est grâce à l’existence du surnaturel que cette révélation existe (sinon, le surnaturel ne se manifesterait pas, et sûrement pas de cette façon surnaturelle). Le fait que le surnaturel ait jugé nécessaire de se révéler d’une façon surnaturelle (et aux yeux de l’homme : absurde, ou incompréhensible) par le biais d’un écrit inspiré, d’une vision, d’une personne (prophètes ; incarnation) est ‘gratuit’ : l’homme n’a pas légitimement droit à cette révélation. Il s’agit donc d’un ‘don’ gratuit du surnaturel, qui se révèle de sa propre initiative. C’est par le moyen de la ‘grâce’ (divine) que cette révélation du surnaturel s’effectue. Evidemment, sur le concept du ‘surnaturel’ se greffe aussi celui du ‘miracle’. Mais surtout : la religion chrétienne, telle qu’elle a influencé la pensée occidentale durant des siècles, fonctionnera grâce à l’acceptation implicite de ces trois concepts et de leur interdépendance : la révélation ; l’existence du surnaturel ; les voies surnaturelles de l’action de la grâce. Ces concepts se retrouvent d’ailleurs dans certaines formes de la religiosité actuelle, même si elle est ‘sécularisée’ et ne se réclame plus d’une religion.

Finalement, une religion souvent se base sur une autorité et suppose qu’il existe des intermédiaires entre le naturel et le surnaturel. C’est évidemment le cas avec la religion chrétienne : l’Eglise est considérée (très tôt déjà) comme la seule et unique dépositaire de la ‘sagesse’ divine ; c’est à elle qu’incombe l’autorité de définir les croyances (c’est à dire : l’ensemble cohérent des suppositions concernant le temps, l’espace, l’homme donnant un ‘sens’ à la vie), et cela sur base de la révélation qu’elle a reçue et qu’elle interprète avec l’aide de la grâce divine. En même temps cette Eglise est l’intermédiaire entre le surnaturel et le croyant, le divin et le humain, tout comme le Christ, les anges, les prophètes, les saints, etc. Il est important de souligner ces concepts et modes de fonctionnement d’une religion : si la mystique parfois posera problème, ce sera précisément parce qu’elle semble remettre en question : la structure du temps, de l’espace, de l’homme ; la nature du surnaturel ; la nature de la grâce ; l’autorité de l’Eglise et son interprétation de la révélation ; l’existence et la nature des intermédiaires entre le naturel et surnaturel.

4. La mystique

Qu’est-ce, la mystique ? L’on pourrait résumer le cheminement parcouru par un mystique ‘idéal’ (évidemment virtuel) comme suit : il traverse un processus de prise de conscience de soi, et cela à travers la prise de conscience des différents niveaux de la réalité. Ces niveaux de la réalité sont comparables à une série de cercles qui s’insèrent les uns dans les autres: à chaque fois que la prise de conscience de soi du mystique s’approfondit, le mystique accède à un autre ‘cercle’ plus intérieur (et véritable) de la réalité. D’abord, comme tout homme, il considère le monde empirique et matériel comme le seul monde existant ; ensuite, il prend conscience que ses propres émotions et sa pensée régissent sa perception de cette réalité matérielle, qui, tout en restant identique, peut s’avérer pour lui soit agréable, soit angoissante, soit menaçante. Au-dedans du cercle représentant la réalité empirique il découvre une réalité sous-jacente, que d’abord il n’apercevait pas : celle de ses propres pensées et émotions. Après avoir pris conscience de sa contribution à la perception de la réalité empirique, il se demande s’il n’y a pas une autre réalité plus profonde encore que ses propres émotions et pensées. Il se peut qu’alors il atteigne un troisième niveau de la réalité, qu’il appellera : ‘Le Bon, le Beau, le Juste’ (Platon), ‘L’Un’ (Plotin), ‘Dieu’ (tradition judéo-chrétienne), ‘La Déité’, Le Grund (‘Fond’) ou même L’Ungrund (le ‘Sans-Fond’) (Boehme), ‘Le Néant, La Vacuité’ (certaines écoles bouddhistes ; mais aussi une tradition chrétienne mystique), ‘L’Energie’ (certains auteurs spirituels modernes), etc.

Cette prise de conscience progressive se fait par trois pas successifs : 1. prise de conscience de la relativité et des limites de la réalité matérielle, empirique ; 2. prise de conscience de l’existence de la réalité individuelle émotionnelle et intellectuelle et de son influence sur la perception du premier niveau de la réalité ; 3. le troisième pas se définit par deux caractéristiques importantes : 3.1. prise de conscience d’un troisième niveau de réalité plus profond encore, dépassant les limites du ‘moi’ personnel (émotionnel et rationnel) ; 3.2. cette prise de conscience est souvent accompagnée par une expérience d’union ou unification avec cette réalité.

Souvent, cette expérience d’unité est suivie d’un quatrième pas. Le mystique perçoit ce troisième niveau de la réalité comme le fondement, si pas la source même des autres niveaux de la réalité. Ce qui se trouvait caché au-dedans des autres réalités s’avère, au contraire, être leur fondement. Le cercle extérieur (matériel et empirique) apparaît maintenant comme le cercle intérieur au-dedans de ces trois cercles, et le cercle intérieur devient le cercle extérieur qui, à lui seul, renferme les deux autres niveaux de la réalité. Ce renversement de perspective provoque un ‘retournement’ intérieur chez le mystique ; pour lui, sa vie réelle ne se déroule pas au niveau corporel, émotionnel ou rationnel, mais à ce niveau plus profond : c’est dans le centre de la réalité, le noyau de toute chose que se joue sa ‘vraie’ vie, alors que sa vie extérieure n’en est que le résultat et le reflet. Dorénavant, il se considère comme l’instrument de ce centre dans l’univers de la matière, de la pensée, des émotions, et prend cette ultime réalité comme critère de ses pensées, de ses actions dans le monde, envers ce centre, envers lui-même et envers ses prochains.

5. Les tensions

Ceci n’est qu’un schéma succinct, et neutre. Cependant, déjà sous sa forme ‘vide’ et neutre, ce schéma suscite des problèmes, que nous appellerons ‘tensions’. Est-ce avec le corps, l’âme, l’esprit qu’il faut accéder au troisième niveau de la réalité ? Si l’on estime que l’âme et l’esprit seuls peuvent accéder au troisième cercle, il faut délaisser le corps (ascèse) ; si l’on estime qu’il faut purifier l’âme des tendances personnelles, il faut ‘purifier’ l’âme (ascèse spirituelle). Ces options – choisies à titre d’exemple – trahissent la tension latente entre ‘corps’, ‘âme’ et ‘esprit’ (empruntés à la structuration de l’homme) et en génèrent d’autres. C’est là ce que nous pourrions appeler le ‘jeu’ des tensions.

Un ‘jeu’ similaire de ‘tensions’ surgit concernant l’attitude à adopter dans la quatrième phase : faut-il, alors, vivre uniquement en conformité avec le centre de la réalité (en rejetant toutes les normes des autres niveaux de réalité) ; faut-il exprimer la ‘vérité’ du centre de la réalité dans la vie concrète (en agissant en tant que ‘missionnaire’ de cette réalité), ou faut-il chercher un équilibre entre les différents niveaux de la réalité, tout en sachant que l’on appartient, intérieurement, au niveau intérieur de la réalité ? Ce ne sont là que quelques options parmi les dizaines possibles concernant cette ‘tension’. Autre tension : peut-on accéder à ce centre par sa seule volonté, ou uniquement avec l’aide de la grâce, ou faut-il une synergie entre grâce et propre volonté ? Autre tension encore : passivité et/ou activité. Faut-il être actif ou passif, et dans quelle mesure, et en respectant quel équilibre entre activité et passivité, pour arriver au centre de la réalité ? Finalement, atteint-on le centre de la réalité par la raison (raisonnement, qui éventuellement débouche sur l’intuition, la sagesse), ou par l’amour (l’abandon, la confiance, la dévotion) ?

6. Activité – passivité, grâce – libre arbitre

Nous donnons un seul exemple afin d’illustrer une réponse possible à ces ‘tensions’, en nous concentrant sur les tensions ‘activité – passivité’, ‘grâce – libre arbitre’.

Les termes ‘oraison infuse’, ‘contemplation infuse’, qui font leur première apparition vers le XVIe siècle, sont symptomatiques d’une tentative de revaloriser (ou défendre) l’approche purement ‘passive’ des ‘sommets’ de la vie mystique, et, à la fois, reprennent une idée clef d’une des formes de la mystique occidentale: il faut s’évertuer à être le plus passif possible, pour ‘pâtir’ la grâce de Dieu. Cette passivité, paradoxalement, s’avère être l’activité la plus pénible, mais la plus fructueuse dont l’homme, qui cherche Dieu, peut faire preuve. L’activité humaine ne se réduit cependant pas à l’abandon pur et simple au bon vouloir de Dieu; en même temps il faut continuer à ‘désirer’, ‘aimer’ Dieu avec ses ‘puissances’ (mémoire, raison, volonté) et en perfectionnant ses vertus, afin que Dieu puisse les convertir en vertus ‘surnaturelles’ et transformer les ‘puissances’ (naturelles) en ‘Dons du Saint-Esprit’ (surnaturels). Cette distinction entre le niveau ‘naturel’ et ‘surnaturel’ de l’homme (et de ses ‘puissances’ et ‘vertus’) est empruntée à la théologie ; dans notre schéma il s’agit du niveau des deux premier cercles (pour le niveau ‘naturel’), et du troisième cercle (pour le niveau ‘surnaturel’).

Mais ce n’est là qu’une partie de la solution de la ‘tension’ activité - passivité. De plus, il faut être actif jusqu’à un certain point dans l’acheminement vers Dieu ; ensuite, il faut, au contraire, renoncer à son activité ; la passivité s’impose. Il faut être passif dans l’abandon de soi, de sa propre volonté ; mais il faut en même temps continuer à (activement) aimer, chercher Dieu. L’homme, en étant passif, donne à Dieu l’occasion de devenir actif ; néanmoins, sans l’activité préalable de l’homme, l’homme n’aurait jamais atteint le niveau de ‘perfection’ dans lequel il peut ‘pâtir’ Dieu d’une façon passive. Lorsque l’homme était encore actif (et se croyait, seul, en quête de Dieu, par ses propres moyens), Dieu déjà le cherchait, sans que l’homme le sache, puisque ce même Dieu a procuré à l’homme des puissances latentes, qu’il suffit à l’homme d’activer (par son désir continuel de Dieu) pour qu’ils l’aident à trouver Dieu. En effet, Dieu a pour ainsi dire ‘installé’ dans l’homme, lors de la création, dans sa nature ‘créée’, des ‘puissances’ qui le rendent capables de trouver Dieu. En d’autres mots : le cercle ‘intérieur’ est déjà présent dans l’homme (et c’est Dieu qui l’ a ‘installé’ dans l’homme lors de la création) ; mais il est impératif que l’homme cherche vraiment Dieu avant que ces facultés (spirituelles pour ainsi dire) puissent se manifester et s’épanouir. De ce point de vue-là l’homme est d’emblée entièrement passif (créature) ; mais en devenant actif (dans sa recherche de Dieu) il active des puissances spirituelles qui le transformeront en un être capable d’une part de perfectionner ses vertus et puissances par sa propre volonté, et, d’autre part, en faisant fi de sa propre volonté, de laisser transformer par Dieu ses vertus et puissances en vertus et puissances surnaturelles et de se soumettre passivement à la volonté de Dieu, afin de ‘pâtir’ (subir, expérimenter intérieurement, passivement) la présence de et l’union avec Dieu. De plus, tant cette ‘installation’ des puissances spirituelles que la transformation graduelle des vertus et puissances que l’union proprement dite avec Dieu sont le résultat de la grâce de Dieu ; mais cette grâce ne pourrait être ‘efficace’ et ‘opérante’ si l’homme n’y participait pas par sa propre volonté.

Voilà une seule des multiples options possibles dans la mystique occidentale pour résoudre les ‘tensions’ entre ‘activité’ et ‘passivité’, entre ‘grâce’ et ‘libre arbitre’ dans l’acheminement vers le centre (le troisième cercle). Nous donnons cet exemple – insistons : il s’agit d’un seul jeu d’options possible parmi tant d’autres - pour démontrer combien 1. cette tension (comme beaucoup d’autres d’ailleurs) a exercé une influence capitale sur la façon dont la mystique a pris forme concrètement dans la tradition occidentale ; 2. cette tension se retrouve autant dans la théologie que la mystique et a engendré des discussions et des distinctions très subtiles et sophistiquées, qu’il est malaisé de comprendre si l’on ne prend pas en compte le point de départ : la tension elle-même. De plus, il faut toujours bien définir dans 1. quel ‘cercle’ de notre schéma se situe quel ‘jeu’ de ‘tensions’, 2. bien évaluer quelles sont les répercussions de ce ‘jeu’ sur les autres ‘cercles’, 3. comparer les options choisies avec le cadre théologique (ou philosophique) en vigueur en ce temps-là et même les schémas spirituels, mystiques ou théologiques précédents (qui souvent sont invoqués pour légitimer un choix concernant les ‘tensions’), et, finalement, 4. vérifier si une lutte concernant un ‘jeu’ de ‘tensions’ n’en cache pas une autre, c’est-à-dire : une lutte qui se réfère aux présuppositions concernant le temps, l’espace, l’homme, le surnaturel, la grâce, la révélation que l’Eglise en utilisant son autorité désire imposer à ses croyants et que la mystique, au vu de l’Eglise, semble vouloir saper ou ébranler.[2]

7. La voie de l’amour

La voie la plus courante dans la mystique occidentale est celle qui mène vers un Dieu conçu comme Amour. C’est en m’abandonnant à l’amour pour Dieu, en aimant Dieu que je l’atteindrai, et que je me rendrai compte qu’il est essentiellement Amour. Ce type de mystique prône l’emploi d’une série de ‘moyens’ pour atteindre Dieu ; elle estime que l’on s’unit avec Dieu, mais respecte la ‘différence’ fondamentale entre Dieu (créateur) et homme (créature) ; elle suppose qu’il y a différents ‘modes’ d’union avec Dieu (c’est-à-dire : différentes ‘étapes’ de progression vers Dieu, différentes ‘façons’ d’aimer) et que, durant l’ascension vers Dieu, l’on a l’expérience de Dieu, expérience qui parfois se manifeste sous forme d’extase.

Hormis l’amour, la mystique amoureuse dispose d’une panoplie de moyens pour accéder à Dieu : l’ascèse, l’exégèse spirituelle, la prière, la méditation, la pratique des vertus ; en outre, elle dispose de différentes formes de médiation entre l’homme et Dieu : le Christ, étant l’incarnation de Dieu et le médiateur entre l’homme et Dieu par excellence, mais aussi : le Saint-Esprit, les saints, les prophètes, les visionnaires ; finalement : l’Eglise, ses dogmes, ses administrateurs et ses sacrements, qui véhiculent la grâce divine (spirituelle) vers le monde (humain, matériel) et, d’autre part, forment la voie d’accès de l’homme (matériel) vers la dimension divine (spirituelle), particulièrement dans l’eucharistie. De plus, le mystique peut espérer que Dieu lui confèrera la ‘grâce’ de vouloir se révéler à lui ; dans ce sens la grâce elle-même est un des ‘moyens’ suprêmes pour atteindre Dieu. Tous ces moyens sont jugés nécessaires, si pas indispensables pour accéder à Dieu. Un des ‘moyens’ les plus effectifs est l’imitation du Christ, qui consiste à copier sa conduite sur terre, à l’imiter, physiquement, mentalement, affectivement, spirituellement, afin d’emprunter la même attitude d’amour et d’abandon envers Dieu que le Christ avait durant sa vie envers le ‘Père’.

L’on arrive dans la mystique amoureuse à une ‘union’ avec Dieu, qui cependant reste teintée de ‘différence’ : l’on ne devient pas Dieu ; l’on devient tout au plus ‘ce que Dieu est’ (comme le diront certains Pères Grecs et Guillaume de Saint-Thierry). L’on remarque une appréhension chez les mystiques à affirmer que l’on devient littéralement ‘comme’ Dieu, ou devient tout bonnement Dieu. Et cela parce que l’on respecte scrupuleusement le schéma théologique offert par l’Eglise prônant une différence ontologique infranchissable entre l’homme (créature) et Dieu (créateur de l’homme). L’union, en d’autres termes, est plutôt une ‘unification’ dans laquelle persiste une différence ontologique entre sujet et objet, bien que (psychologiquement) l’on sente une union parfaite, sans scission, entre soi-même et Dieu.

Dans la mystique de l’amour l’on rencontre une ‘phénoménologie’ de la mystique : l’on décrit les ‘étapes’, les ‘degrés’, les ‘états’ successifs de l’ascension vers Dieu, les ‘modes’, les ‘formes’ de l’expérience de Dieu. Le fait de décrire ces différents ‘modes’ de la vie mystique et les sensations et émotions qui les caractérisent, indique déjà l’intérêt que porte la mystique amoureuse pour l’expérience de cet amour. L’on considère que l’on est en quelque sorte ‘touché’ de l’intérieur, dans la partie intime de son âme, par Dieu. Tout le parcours vers Dieu est une réponse à cet ‘attouchement’ subtil, intérieur. En fait, l’homme, en s’intériorisant (en traversant les trois ‘cercles’ que nous avons décrits), exprime son amour pour Dieu, qui, lui, à son tour, par amour s’imprime dans l’âme du mystique, se manifeste en lui, ‘naît’ en lui et irradie bientôt tout son for intérieur et son corps.

Cette intériorisation se manifeste souvent par des signes extérieurs, physiques visibles. Ruusbroec emploiera l’image d’une source, cachée dans le fin fond de l’âme humaine, et qui, au fur et à mesure que l’homme s’intériorise, d’abord forme des ruisseaux, puis des fleuves, puis finalement ‘déborde’ en quelque sorte de l’homme qui cherche Dieu. Et là nous touchons au phénomène de l’extase, tel qu’il se présente dans la mystique amoureuse : l’homme, en atteignant le centre de la réalité, devient le ‘réceptacle’ de la grâce divine ; il participe à un niveau profond (celui de l’esprit) à la nature de Dieu, et cette participation se répercute au niveau émotionnel, affectif et physique. Les effets de cette ‘opération’ divine sont déjà visibles dès les premières étapes de l’intériorisation, ne fût-ce que par des sensations de bien-être, de douceur, de consolation, ou même par des effets physiques tels que le ‘jubilus’ mystique (l’on loue et applaudit Dieu spontanément). Finalement, on participe aux ‘dons du Saint-Esprit’ et les exprime par ce qu’on appellera le ‘don des larmes’, le ‘don de prophétie’, le ‘don de guérison’, par des visions, etc. Etant parvenu au troisième cercle (où se trouve Dieu), et après avoir subi le ‘renversement de perspective’ (troisième phase), l’on change intérieurement et l’on devient l’expression de Dieu (quatrième phase); le corps et l’individu ne sont plus que l’instrument de la volonté divine dans le monde. Les stigmates font partie de cette même ‘transformation’ tant intérieure qu’extérieure de l’homme opérée par Dieu.

8. La voie de la vacuité

Si la mystique amoureuse peut être résumée par un seul mot : ‘avec’ (avec moyens, avec différence, avec ‘modes’, avec expérience), l’autre voie importante dans la mystique occidentale, celle de la mystique de la vacuité peut être résumée par le mot opposé : ‘sans’ (sans moyens, sans différence, sans ‘modes’, sans expérience). Dans la mystique de la vacuité l’on se fraie un chemin vers Dieu grâce à la ‘pauvreté spirituelle’, qui implique un dépouillement total de sa propre pensée et de son propre vouloir (désirs, projections, etc.). L’on découvre un Dieu non-imagé, non-identifiable, qui se trouve au-delà de toute définition contraignante de Dieu, au-delà de toute dualité: il s’agit de l’’Etre superessentiel’ (Denys l’Aréopagite), de la ‘Déité’ ou du ‘Néant’ ou Grund (‘Fond’) (Eckhart[3]), de l’’Etre’, terme qui cependant prête à confusion : l’on ne prétend pas avoir atteint le ‘fin fond de la réalité’, qui est ‘être’ (opposé au non-être, ou intégrant tous les ‘êtres’), et pas non plus ‘l’essence’ de la réalité (qui suppose encore une dualité entre ‘l’essence’ et la ‘forme réelle’ de la réalité), mais: ce qui ‘est’ sans aucune qualité, au-delà de tout ce qu’on connaît ou désire ou ressent (sans ‘mode’). Chez Eckhart ce noyau de la réalité se diffuse, se projette dans tous les autres niveaux de la réalité : et ces multiples ‘aspects’ de la réalité ensemble forment l’unité dont le mystique prend conscience, sans scinder, diviser cette réalité. La perception de l’unité est une, et influence l’interprétation de la réalité. Cette prise de conscience va de pair avec l’abolissement des conceptions du temps et de l’espace et de leur ‘dualités’ : futur, passé, présent, ici, au-delà ne font plus qu’un (surtout chez Eckhart).

On n’utilise pas les ‘moyens’ proposés par la mystique amoureuse (énumérés plus haut), ou uniquement jusqu’à un certain degré, de peur qu’ils ne faussent l’image de Dieu, traduisent un attachement à ses propres points de vue, ou forment un prétexte pour ne pas s’aventurer dans le dépouillement intérieur pénible requis par la ‘pauvreté spirituelle’, qui devient, elle, le seul ‘moyen’ requis pour l’intériorisation. Mais ce ‘moyen’ est ‘vide’. Eckhart dira que cette ‘pauvreté spirituelle’ consiste à ‘ne rien posséder, ne rien vouloir, ne rien connaître’. En fait, la mystique de la vacuité prône une vacuité intrinsèque de Dieu, et impose au mystique la vacuité intérieure pour rejoindre cette vacuité divine.

Dès qu’on a rejoint cette vacuité, on en émerge, tout comme Dieu, les Personnes de la Trinité, la création, l’homme, la nature émergent constamment (sans interruption, à chaque seconde) de ce Grund, cette Déité sans nom, et y retournent, à condition qu’ils se soient vidés de leur ‘être’ superficiel, de leur ‘noms’, de leur identité factice. Comme elle abolit les attaches au temps et à l’espace, la mystique de la vacuité ne s’intéresse pas aux phénomènes affectifs ou physiques qui accompagnent cette prise de conscience ; il n’y a pas d’expérience mystique proprement dite (c’est-à-dire : identifiable dans le temps, l’espace, par son ‘mode’): la vie elle-même, ancrée dans cette conscience de l’unité, est l’expérience mystique.

9. Autodéification, panthéisme et quiétisme

La mystique de la vacuité (dans sa forme la plus radicale) se heurte aux présuppositions sur le temps, l’espace et l’homme reprises par l’Eglise, et aux concepts sur lesquels se base la religion chrétienne. Ce qui explique qu’on lui ait reproché souvent : l’autodéification, le panthéisme et le quiétisme.

Cette mystique remet en question l’équilibre précaire entre libre arbitre et volonté divine : en fait, elle penche plutôt vers l’exclusion de la grâce au profit du propre effort, quoique cet effort soit dirigé vers la pauvreté spirituelle. La mystique de la vacuité assure qu’elle débouche sur une unité totale sans différence (même pas entre Dieu et l’homme) et remet ainsi en question la différence ontologique entre Dieu et créature, ce qui suscitera le reproche d’autodéification. Aussi, Ruusbroec dira que les adeptes (de la mystique de la vacuité et certains groupements des ‘Frères du Libre Esprit’) veulent ‘être Dieu sans Dieu’. Ayant perçu l’unité fondamentale de la réalité, sans différence, la mystique de la vacuité ne fait plus de distinction entre Dieu, la nature et l’homme : tous, sans distinction, émanent du Nichts, de l’‘Etre’ indéfini et indéfinissable qui est ‘Tout’ et sont projetés dans le monde de la perception. De là proviendra le reproche de ‘panthéisme’ ; l’on reproche aux mystiques de prétendre que ‘tout’ (sans distinction) ‘est Dieu’. Reproche assurément correct si l’on utilise les présuppositions théologiques chrétiennes, mais non-fondé si l’on accepte les présuppositions sur le temps et l’espace de par exemple Eckhart. L’expérience de l’unité que nous venons de décrire prévaut sur toute définition, automatiquement erronée de ce qu’est Dieu ; ‘Dieu’ n’est qu’un ‘nom’, une ‘forme’, parmi tant d’autres, émanant de la Déité, du Nichts informe.

Finalement, la mystique de la vacuité se verra reprocher son ‘quiétisme’ : elle se ‘repose’ au lieu de chercher Dieu (activement), et au lieu de continuer à l’aimer, à l’obéir (selon les règles de l’Eglise) après l’avoir trouvé. En fait, cette mystique se méfie des ‘moyens’ que lui offre l’Eglise pour accéder à Dieu, et ne les juge pas indispensables après avoir atteint le niveau profond de la réalité. Cependant, ce n’est là qu’une simplification du débat sur le quiétisme, concept qui se retrouve dans toutes les formes de mystiques occidentales (et autres, non-occidentales, probablement) et qui, selon nous, devrait être traitée et comprise au sein du ‘jeu’ des ‘tensions’ (grâce – propre volonté ; activité – passivité) que nous avons déjà illustré (voir supra).

Rappelons cependant qu’il y a des différences considérables entre les diverses mystiques de la vacuité. Nous avons surtout exposé les points de vue les plus radicaux, tels qu’on les retrouve chez Eckhart. De plus, très rapidement déjà, les mystiques ont opéré des jonctions, plus ou moins heureuses, entre les deux courants prépondérants dans la mystique occidentale : celui de l’amour et celui de la vacuité. Cela va d’une mystique de la vacuité ‘mitigée’ (Tauler et Suso, deux élèves d’Eckhart), en passant par des tentatives de synthèse (Ruusbroec[4]), jusqu’à des formes d’éclectisme raffinées (Jean de la Croix, pour ne citer qu’un seul représentant de cet éclectisme). Pour rendre le tout plus compliqué encore, des mots-clefs glisseront d’une mystique vers l’autre en subissant des altérations de sens majeures. Ainsi, par exemple, le terme ‘anéantissement’ qui est, initialement, renoncement radical au propre vouloir dans la mystique de la vacuité devient soit mortification (corporelle) soit abandon complet (spirituel) à la volonté divine dans la mystique amoureuse, particulièrement depuis le XVIIe jusqu’au XIXe siècle.

10. L’ésotérisme occidental comme troisième voie

Il existe peut-être une troisième ‘voie’ de la mystique occidentale. Celle-ci naît du courant hermétique (XVe siècle) qui évoluera, à travers les siècles, jusqu’à former ce que Antoine Faivre a qualifié d’ésotérisme occidental.[5]

Rappelons que la mystique occidentale s’est inspirée de différents ‘paradigmes’ successifs qui forment, pour ainsi dire, l’interface entre la religion et la mystique, et influencent, par leurs présuppositions, la forme sous laquelle la mystique se présente. Les premiers siècles du christianisme ont connu une forme de mystique inspirée du paradigme gnostique (tant dualiste qu’adualiste) ; le paradigme suivant, celui des Pères Grecs, intègre néoplatonisme et judéo-christianisme ; vient ensuite, en Occident, un troisième paradigme, inauguré par Augustin et qui survivra jusqu’à aujourd’hui (surtout au sein du catholicisme). Depuis le XVe siècle d’autres ‘paradigmes’ surgissent, l’un après l’autre, soit indépendamment de la religion, soit au sein des multiples ‘branches’ qui émergent du christianisme (entre autres les multiples formes du protestantisme). La philosophie et les sciences offriront bientôt leur propres ‘paradigmes’ de structuration du temps et de l’espace et de l’homme donnant un ‘sens’ à la vie et qui soit influencent le paradigme religieux (chrétien, au sens large) soit subissent son influence, soit l’excluent.

Parmi ces nouveaux paradigmes émerge, en subissant des transformations majeures depuis la fin du XIXe siècle, la tradition ésotérique occidentale dont quelques présuppositions sont reprises par le ‘New Age’ actuel et s’insèrent dans le cadre préliminaire mental de la religiosité d’aujourd’hui. En même temps les termes ‘sainteté’, ‘perfection’, ‘contemplation’, ‘mystique’, ‘spiritualité’ perdent leur signification originelle au courant des siècles passés (depuis déjà le XVIe siècle), se recoupent, et prêtent de plus en plus à confusion. On se retrouve là devant une des raisons de la confusion actuelle concernant la définition du mot ‘mystique’ ou ‘spiritualité’.

Mais l’autre raison est plus profonde encore : comme l’ont bien démontré Antoine Faivre et Wouter Hanegraaff, la tradition ésotérique sous sa forme actuelle (‘New Age’ et la religiosité actuelle généralement acceptée) prône une nouvelle structuration du temps et de l’espace (la théorie des ‘correspondances’ remplace celle, judéo-chrétienne, de la ‘création’), revalorise la nature (et le corps) et, surtout, invite le ‘spirituel’ (ou ‘mystique’) à une utilisation individuelle et illimitée de symboles, rituels, structurations du temps, de l’espace, de l’homme empruntés à différents paradigmes (religion, philosophie, psychologie, etc.), et cela au niveau universel, visant à sa transformation individuelle et/ou à la transmutation du monde.[6] Il suffit de comparer ce nouvel état d’esprit avec les ‘concepts’, somme toute, assez restreints, formant le cadre préliminaire mental de la mystique occidentale (exposés au début de cet article) pour se rendre compte que ce nouveau ‘paradigme’ tant par son étendue que par sa liberté de choix tranche fondamentalement avec les présuppositions sur lesquelles se basaient les deux ‘voies’ de la mystique occidentale que nous venons d’esquisser. Il se pourrait qu’à la longue, cette nouvelle tendance réussisse à se transformer en une troisième ‘voie’ à part entière dans l’histoire de la mystique occidentale.


[1] Cet article a été publié dans A. Dierkens et B. Beyer de Ryke, éds, Mystique : la passion de l’Un, de l’Antiquité à nos jours, Eds de l’Université de Bruxelles. Problèmes d’histoire des religions, tome XV, 2005, pages 23-33

[2] Pour une étude plus approfondie des différents ‘jeux’ de ‘tensions’ dans la mystique occidentale, nous renvoyons le lecteur au premier chapitre de notre livre, B. Todoroff, Laat heb ik je liefgehad. Christelijke mystiek van Jezus tot nu, Louvain, Davidsfonds, 2002, 476 p. et surtout au livre plus récent Een verlangen naar eenheid (voir: Actualités sur ce site) consacré en grande partie aux tensions comme éléments structurants de la mystique.

[3] Sur Eckhart, voir le livre de B. Beyer de Ryke, Maître Eckhart, Paris, Entrelacs, 2004 (Sagesses éternelles).

[4] Sur Ruusbroec en tant que proche et en même temps éloigné de la tradition rhénane, voir notamment A. Dierkens et B. Beyer de Ryke, éds, Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec. Études sur la mystique « rhéno-flamande » (XIIIe-XIVe siècle), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2004 (Problèmes d’histoire des religions, 14).

[5] A. Faivre, L’ésotérisme, Paris, Puf, 2002 (Que Sais-je ?, 1031)

[6] voir les œuvres d’Antoine Faivre, et, surtout, de Wouter J. Hanegraaff, parmi lesquelles New Age Religion and Western Culture : Esotericism in the Mirror of Secular Thought, Leyde, E.J.Brill, 1996 et Albany (NY), State University of New York Press, 1998.

"Espace, temps, tensions: c'est tout ce qu'il faut pour construire une croyance, qu'elle soit philosophique, religieuse, politique, économique ou autre."

Boris Todoroff